Voici voilà, je voulais mettre noir sur blanc le récit de cette petite balade en Italie d'octobre 2023 (avec du retard pour la partie 2). En toute humilité, ça reste à ce jour dans mon top 5 des plus gros défis physique et mental et une de mes plus belles expériences sportives à vie. Les prochaines lignes vous donneront un accès au premier rang des péripéties avant, pendant et après l'événement. Comme j'en avais beaucoup à raconter, une troisième partie suivra sous peu.
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Je me fais une place sur la ligne de départ entre les coureurs. Je ne vois plus Will dans la foule, mais de toute façon avec sa boule dans l'estomac il redoute peut-être le ‘’eye contact’’ et préfère vivre son stress/émotion en paix/cachette. Dans ma tête je me répète ma stratégie : Laisser les gazelles me dépasser en me souvenant plus que jamais que je dois me ‘’pacer’’.
7h30 AM / KM#0 = BANG (coup de fusil) !
C’est comme un automatisme, les jambes qui vont trop vite sous l’effet de l’adrénaline. On monte tranquillement à travers les ruelles du village. Le brouhaha de la foule à la ligne du départ et les civils qui applaudissent le long des barrières se dissipent, puis disparaîent. Proportionnelement, les coureurs ralentissent. Ça n’a pas pris plus que 2 km pour que je commence à sentir mes mollets cramper, en même temps je n’ai pas eu bien bien le temps de m’habituer aux souliers acheté 2 semaines avant et même avec un réchauffement, mon corps est encore à moitié endormi, incapable de secouer le ''jet lag''.
Après quelques minutes on est déjà rendu au pied de la montagne, là où les S sans fin commencent. Les coureurs sont un derrière les autres pris dans un bouchon, mais c’est ça l’Europe, peu d’espace et beaucoup de monde. Ça m’a donné l’occasion de jaser avec ma ‘’compétition’’. Tous des Italiens ou presque, tous ont déjà fait la course sur ce même parcours, tous des hommes. Je leur partage mon objectif, finir en 15 heures (pas 3pm, 15 heures de course) et idéalement de finir avant la noirceur. « Vers 19h30 ce serait bien, parce qu’au Canada on n’aime pas ça souper trop tard héhé ». Ils me trouvent comique, mais ils ont l’air sincères en me disant qu’ils pensent que je devrais plus viser un 12-14h selon leur jugement de mes premiers kilomètres (soit 4 sur 55). Je prends donc leur prédiction comme un grain de sel.
8h30 AM / KM #4 = Powerwalk (1h00 de course)
Une heure pour un 800 mètres de dénivelé (juste de la montée) c’est pas pire pas pire! Le bouchon commence à se disperser de plus en plus dans cette montée sans fin. Vous comprendrez qu’à ce stade-là, courir n’est pas une option possible pour une Néo-Madelinienne sans pratique comme moi! Aouaille le powerwalk… et je marche et marche et ça fait 1200 mètres de montée et 9 kilomètres et j’ai quasiment peur de passer tout droit du ravitaillement avec toute la brume. « C'est haut hen l'Italie ? »
9h29 AM/ KM #9.3 = 1er Ravitaillement (1h59 de course)
J’aperçois les tentes du 1er de 4 ravitaillements. Je suis quand même étonnée, en regardant ma montre, 2h et quasiment rendu au top! Ça parait qu’on est en Europe, car c’est littéralement un buffet infini de fromages et de charcuteries. J’avais aucune idée à quoi m’attendre pour les ravitaillements en ultra trail. Tout ce que je connais c’est l’eau et le Gatorade dans les verres en carton que tu te pitch dans la face pendant une course sur route. Et que dire de la petite banane à la fin que tu te dis, impossible que ce pauvre petit fruit m’enlève toutes mes douleurs. Parmi tous les choix, j’opte pour les raisins et 3 tranches d’orange. Will ne serait pas fier de moi. Lui qui prend ça comme un challenge de rentrer dans son argent dans ce genre de buffet, il serait sorti avec 3-4 assiettes MINIMUM!
Je repars avec mes deux bouteilles remplies et mes petits fruits avalés sans mâcher. À mesure qu’on monte, les nuages qui nous enrobent deviennent plus denses et mouillés, le sol aussi. C’est rendu chacun pour soi avec pratiquement aucune visibilité. Je suis déçu parce que ma montre n’affiche pas bien ma fréquence cardiaque (105), quand pourtant je suis pas mal à mon max effort. En tout cas, je suis certaine que l’Italie au complet peut voir ma jugulaire pompée dans mon cou et montée jusqu’à mon front même sans visibilité. Un certain Marc-André me dirait que ça ne compte pas si ma montre ne fonctionne pas, que je devrais retourner en bas et recommencer… NOT!
*** J’ai pu voir plus tard après la course que j’ai montée à 212,
un record à vie moi qui seulement quelques fois par année montent en haut de 190…
J’ai les jambes littéralement en FEUUUUUU et ça me rappelle le vélo en Oregon. Par moment, j'essaie de varier ma position de powerwalk pour faire brûler en alternance soit plus mes mollets ou soit plus mes cuisses. La stratégie a fonctionné un gros 30 secondes, jusqu’au moment ou TOUT fait mal peu importe, même en montant à 4 pattes. Le pire c’est que je déteste même pas ça (une fille essai de se convraincre). Je me suis inscrite à l’évènement (et fais une préparation minimale) en toute connaissance de cause.
Oubli le vélo en Orégon, je me sens comme à la base de l’Everest au Népal, l’altitude qui compresse tes poumons et qui te pèse sur les épaules comme si tes jambes devaient traîner ton corps qui est l’équivalent du poids d’un éléphant bien nourri qui ne connait que la savane plate plate. Let's go les S jusqu'au nuage ...
10h17/ KM #13.2 = TOP DE LA MONTAGNE (2h43 de course)
1640 mètres est l’altitude la plus haute que j’aurai parcourue à la ‘’course’’. C’est le fun parcequ’il y a une belle vue… de nuages et de petite pluie. Une photo souvenir pour le Gram s’impose… oufff pas ma meilleure!
Je regarde ma montre souvent, relativement fière d’avoir bien géré mes intakes de glucides jusqu’à présent. À toutes les 45min, j’ouvre un petit sac de collations et j’essaie de finir le contenu en 10-15 minutes pour avoir environ 20-25g de glucides chaque heure. Même chose pour mes électrolytes que j’essaie de bien gérer, histoire de ne pas me retrouver sénile comme en vélo en pleine vague de chaleur californienne. Le petit vent de la côte ouest était l’équivalent d’un séchoir que tu te mets direct dans la face. Je m’étais déshydraté au point où j’étais plus apte à rester dans l’accotement sans vironner dans l’autre voie (et à être malade couché sur la céramique froide de la salle de bain pendant la nuit) Good times!
11h11 / KM #17.6 = 2e Ravitaillement (3h39 de course)
J’ai de la misère à remplir ma bouteille d’eau. J’ai failli faire toute chavirer la table parce que je pèse trop fort sur l’embout fragile de la jug. Je suis ni patiente ni minutieuse même en temps normal, donc imaginez à boute en pleine course. Une bénévole italienne m’aide de peur que je brise tout (vous n’êtes pas surpris) et assume que je comprends quand j’hoche la tête. Je me prends quelques quartiers d’orange et des raisons verts (ouais encore) et je repars rapidement. Le petit rassemblement m’agresse, je n’ai vraiment pas le goût de jaser pour faire changement…
Je suis rendue sur une crête. C’est mouillé et humide et j’essaie d’éviter les trous de bouettes au sol. Pour une petite course de 5km j’aurais évidemment sauté à pieds joints dedans, mais avoir les pieds vaseux/mouillés pour le prochain 7h c’est une autre histoire. Je n’ai pas le temps d’avoir peur des hauteurs et de précipices j’ai beaucoup de choses à penser, je dois rester focus… C’est ce qui m’inquiète le plus mes pieds. Mon expérience de hike m’a appris que peu importe les bas, les souliers, etc. après une coupe d’heures rendues dans la descente ils vont cramper et je vais devoir ramper au fil d’arrivée.
En pensant au fil d’arrivé je regarde où est le prochain ravît sur mon dossard (que je regarde pour la 34e fois). C’est bien fait ce petit dossard-là pour des gens comme moi qui ont à peine ‘’analysé’’ la veille le trajet et les kilomètres et les dénivelés qui séparent les ravitos. Dans ma tête j’essaie de faire le calcul mental 34 – 17.5… coudonc j’ai dont ben de la misère à calculer. Coudonnnnn c’est dont ben loin. En plus j’ai oublié de remplir ma bouteille d’électrolyte… Ayoye je l’échappe!
Ma tête se perd dans mes pensées dans la partie où justement je dois rester allumée. C’est difficile de rester sur le chemin, car ça casse le cou de lever la tête pendant les montées. Les piquets rouges au sol sont à peine visibles, même avec mon pace ‘’vitesse tortue’’. Ce qui devait arriver arriva. Je suis tombée dans la lune et j’ai bifurqué à droite de la montagne tout en amenant quelques coureurs avec moi. Encore plus à la course qu’en randonnée, il y a RIEN de pire qu’un détour qui sert à rien… pis là en plus j’ai descendu trop bas et je dois remonter… pour rien! Note à moi-même : T’es mieux de finir avant la noirceur sinon c’est surrrr que tu fais des détours toute la nuit.
11h50 / KM #19.3 = DERNIER PEAK (4h20 de course)
Mon chandail est tout mouillé par la bruine des nuages et mes souliers sont lousses, quasiment détachés. Je regarde mon dossard une dizaine de fois dans le même 5 minutes pour évaluer quand va commencer la descente apique... J’imagine que tous les coureurs vont être extatiques à ce moment-là. Pour moi c’est vraiment la partie que j’appréhende le plus!
C’est ici, au dernier peak, que je choisis de me réorganiser un peu. Il fait définitivement plus froid en altitude j’ai des frissons qui me traversent jusqu'aux os. Je sors quelques collations pour qu’elles soient à porter de main dans les poches avant de mon sac et je serre mes lacets, prête à ce que mes orteils coincent dans le fond de mes souliers pour le prochain 3h. Je suis en peine de découvrir que mes advils que j'ai mis dans ma poche dernière minute ont tous fondu grâce à l’humidité. Tant pis! J’enlève mon t-shirt qui est trempé pour le placer sur mes épaules et me faire un petit coussin entre mes bretelles de sac et ma peau salée irritée. Je constate que la peau est brûlée sur mes haines à la limite de mes shorts et partout où mon sac est appuyé. J’ai plus de sel qui sort de mes pores que quand tu tombes sur le fond du sac de chips.
Bon let’s go, la partie que tu appréhendais le plus c’est là là…. Let’s go down, down, down…
Je suis plutôt du côté ‘’prudence’’ pendant que plusieurs me dépassent à toute allure. Mes vieux genoux et mes pauvres chevilles aux mille foulures dans les temps de mes années de soccer ne feel pas trop trop gazelle dans le moment. Foule-toi pas la cheville, foule-toi pas la cheville est-ce que je me répète sans cesse quand l’envie me prend de me laisser rouler jusqu’en bas. Je suis bizarre pareil, aimer plus monter que descendre n’est surement pas le feeling de la majorité des coureurs de trail. En même temps, je ne suis pas vraiment une coureuse et encore moins une coureuse de trail feck j’ai le droit 😊
Bon finalement je n'ai plus aucune idée de ce que j’ai mangé et quand en plus mon estomac commence à ne pas être trop content. Il fallait que je suis la règle simple d’une collation chaque heure, mais la notion du temps est ambiguë. Je comprends maintenant ce que le monde disait à propos du défi que ça représente de manger en courant. Les aliments sur lesquels tu tripes ne goûtent plus bon du tout. Pas mal toutes mes collations m’écœurent et je suis rendue au force feeding. Définitivement, le mal d’estomac est ce qui me ‘’déranges’’ le plus à ce point-ci maintenant que le feu de mes jambes est une normalité (sauf quand j’y pense peut-être). C’est une bonne affaire qu’entre manger, boire, respirer, ne pas me tromper de chemin, ne pas m’enfarger, tomber dans la lune, j’ai beaucoup de choses à penser autres que mes petites douleurs de bas de corps. C'est fou comme on devient à la limite sinile, le cerveau qui perd ses fonctions de bases.... On va y aller pour les sour peach que Tommy m’a acheté.
12h32 / KM #24 = Les hommes spaghettis (5h02 de course)
Les ''S'' de la descente sont sans fin! J’ai le même feeling que quand on fait de la randonnée… d’avoir de la misère à croire qu’on a monté ci-haut. J'étais stressé par une descente escarpée technique, mais cela est en grande partie un chemin de terre battue. Encore une fois, je viens de me prouver que de ‘’stresser’’ est le sentiment le plus inutile du monde et je me fais une note mentale que je peux continuer de vivre ma vie comme je le fais depuis 33 ans = relax et sans m'inquiéter de rien. Je me force à me ralentir quand même, laissant les hommes spaghettis me dépasser. Mes avant-bras sont engourdis au point de ne plus être capables de tenir mes bâtons. Je me doutais que ce n’était pas l’idée du siècle la ride de vélo à Zermatt la veille d’un ultra, mais je n'étais pas préparé à serrer mes mains autour des freins du guidon à un tel point où tes doigts restent cripsés et finir avec un ‘’tennis elbow’'.
Comme la pente est plus douce, c’est le temps de donner un break à mes pauvres bras et de ranger mes bâtons dans mon sac. Cette semaine pendant une hike, Will m'a chronométré pour que je me pratique à les raccourcir et les enrouler correctement dans les petites ganses en arrière pendant que je suis en mouvement. Encore, quelqu’un de ‘’normal’’ aurait pratiqué davantage sa gestion d’équipement. Mais moi c’est moi, j’aime quasiment ça quand c’est difficile on dirait. Je commence le processus (non sans facilité). Bon est-ce que j’abandonne et je m’arrête pour faire ça comme il faut? En même temps je n’ai rien à faire sauf courir alors aussi bien continuer.
Le pionnier de la catégorie des hommes spaghettis me dépasse. J’ai un peu honte, il a dû assister au spectacle de la fille pas trop à l’aise qui se tortilles dans tous les sens entêter à ranger ses bâtons, entêté à ne pas enlever son sac. Il a environ mon âge, il doit mesurer 6 pieds 4 et avoir le même poids que moi (et ça, c’est juste parce qu’il est mouillé). Ce n’est pas le plus friendly comparé à d’autres que j’ai croisés. Leur jambe, leur tendon et leur ligament vont dans des sens que je ne peux même pas imaginer. Je suis quasiment jalouse de leur grandeur, leur souplesse. Je repousse cette pensée en me disant que j’aime mieux être comme je suis, experte dans rien, un peu endurante, un peu rapide, un peu forte et faire un 5 reps au backsquat et au pushpress avec un poids décent. Qu’est-ce que t’en penses, Monsieur Spaghetti... Tu lifts combien de plates toi?
13h12 / #27.5 KM = MOITIÉ !!! (5h42 de course)
Mes réserves en eau commencent à diminuer. Évidemment on se souvient que je n’étais pas allumée du tout quand j’ai oublié de remplir ma 2e gourde au ravito #2. Un débat dans ma tête s’installe : boire à ma soif et risquer d’avoir des gourdes vides pendant un trop long moment, où sauver mon eau et me déshydrater tranquillement?
Le fameux MUR dont on m’a temps parler n’est pas encore arrivé, mais je sens que ça pourrait être une possibilité prochainement. Bon ça y est, je vais peut-être faite une ''Louis-B''* de moi-même.
un ultra trail est aussi facile qu'un Iron Man pas préparé, mais qui est finalement obligé d'abandonner...
Toujours pas de réseau pour lire les messages d’encouragements que j’ai reçus dans les dernières 24h. Ça aurait été une belle façon de me motiver. Il est mieux d’avoir une fontaine au plus vite parce qu'avec le soleil qui est apparu en sortant du bois, je ne vais pas tougher les 7 prochains kilomètres qui me séparent du ravitos #3 avec une température plus chaude que le début août aux Îles.
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PARTIE 3/3:
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